Ethique pour les nuls

De la dangerosité de la Philosophie.

Petite promenade philosophique à travers quelques auteurs qui me parlent. Il me semble qu’à travers eux, on peut dire quelque chose de la Philosophie et de l’Homme, qui ne soit pas pure rhétorique.


  Auteur: F.H.     Date: 30/03/2009

 

- J’ouvre le Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche et je m’arrête dès le prologue, devant quelques phrases soulignées il y a quelques temps déjà : "l’homme est une corde, entre bête et surhomme tendue - une corde sur un abîme. Dangereux de passer, dangereux d’être en chemin, dangereux de se retourner, dangereux de tomber et de rester sur place !" Une corde au-dessus d’un abîme, quoi de plus effrayant pour notre imagination, même pour celle du sage s’il en est (cf. Pascal). Aucune position n’est confortable, aucune n’offre un peu de sécurité, aucune n’est préférable à l’autre.
- Quelles interprétations peut-on en donner ? On peut penser à la temporalité qu’on ne peut ni arrêter, ni faire avancer plus vite, ni conserver, et qui est la nature même du vivant, et plus encore de l’homme qui a la conscience. Mais on peut tout autant penser à l’espace infini ou indéfini dont la pensée donne le vertige.
- Mais aussi nous pensons à l’existence, à sa contingence, à la mort inhérente à la vie et à l’angoisse que procure une telle pensée, qui conduit parfois à dire qu’il eût été préférable qu’il n’y ait pas d’existence. Mais cette dangerosité, issue selon Nietzsche, de la situation de l’homme, corde tendue entre l’animal et un être qui dépassera l’homme selon la loi de l’évolution, consiste en même temps en une grandeur. "Ce qui chez l’homme est grand, c’est d’être un pont, et de n’être pas un but : ce que chez l’homme on peut aimer c’est qu’il est un passage et un déclin." L’homme comme passage, nécessaire, donne un sens à la dangerosité. Certes l’homme n’est pas un but comme dans les philosophies qui le mettent au centre de toutes choses. Mais en tant que moyen il est indispensable au mouvement même de la vie qui est la seule réalité qui vaille pour Nietzsche. A ce titre, il a une valeur positive, une "grandeur".
- Mais il est aussi un déclin, une disparition se prépare et c’est ce paradoxe de la grandeur et du déclin qui le rend aimable. Ce qui veut dire qu’on ne pourrait aimer l’homme avec tous ses défauts : mensonges, hypocrisie, lâcheté, faiblesse, "humain, trop humain" en bref, s’il n’était pas déclin. C’est son déclin qui le rend supportable. D’autant que, dans ce déclin, apparaît déjà autre chose qui sera un dépassement de l’homme et de sa finitude dans le temps. Il s’agit de l’éternel retour qui est amour de l’éternité.
- Ainsi dans les sept sceaux "Si vertu de danseur est ma vertu, et que souvent, de mes deux pieds, dans une extase d’or et d’émeraude j’ai bondi ;
- Car dans le rire ensemble se mélange tout mal, mais par sa propre béatitude absous et sanctifié ; - Et si j’ai pour alpha et oméga que se fasse léger tout ce qui est pesant, danseur tout corps, oiseau tout esprit, et tel est bien, en vérité, mon alpha et mon oméga ! - Oh ! Comment de l’éternité n’aurais-je concupiscente, et du nuptial anneau des anneaux, - de l’anneau du retour ? Jamais encore je ne trouverai la femme qui voulusse enfants, sinon de cette femme que j’aime ; car je t’aime ô éternité ! Car je t’aime, ô éternité !"
- Tout ce qui est léger, opposé à pesant, comme chanter, danser, rire me fait désirer ardemment ce qu’il annonce, à savoir que la vie revienne et revienne, elle est le seul réel, la seule source des valeurs. Il s’agit donc de dire oui à la vie et d’opérer la transmutation des valeurs. Cf. Les 3 métamorphoses.
- Cette extrême fragilité qui est en même temps tout ce en quoi s’origine toute vie et valeur, dangereuse à souhait permet de penser l’idée que certains penseurs se sont fait de l’homme et du rôle de la philosophie. Par exemple avec Pascal, nous sommes embarqués dans l’existence, et il nous propose le pari par lequel nous nous situons dans l’existence au lieu de la supporter passivement. Un sens advient à ce qui n’a pas été choisi au point de départ, l’existence comporte un risque, douleur et joie intense. Ainsi la vie philosophique ne peut être confortable avec un statut et des diplômes. On ne peut confondre vie philosophique et profession mais elles ne s’opposent pas nécessairement.
- La philosophie n’appartient pas au registre de l’utilitaire. Elle n’est pas un moyen au service d’autres fins, comme c’est le cas par exemple d’une technique. On ne fait pas de la philosophie pour en tirer quelque bénéfice (bien-être par exemple). Ainsi V. Jankélévitch Quelque part dans l’inachevé "Assurément, si l’on se place sur le terrain des finalités utilitaires, la philosophie ne sert à rien...Mais ne serait-ce par là paradoxalement sa raison d’être ? Si par hasard vivre dangereusement était depuis toujours sa vocation ? Sa périlleuse et gratuite vocation ? "
- On comprend que ça n’est pas faute de démagogie, avoir les mêmes idées politiques que les autres membres d’un groupe, ce n’est pas forcément être "bien un" par les institutions, c’est prendre le risque de la solitude et ce qu’en fait est toujours inachevé. Jankélévitch encore : "tout ce que l’interrogation philosophique a interrogé est plus ou moins nimbé d’inachèvement." On peut d’emblée se référer à Socrate.
- Mais il ne faudrait pas comprendre que faire de la Philosophie est quelque chose de vague. Plus son effort conceptuel est grand, plus le philosophe saisit qu’il pourrait comprendre le réel de mille autres façons et c’est cette conscience là qui est philosophique et qui donne sens à la fameuse formule socratique : ce que je sais c’est que je ne sais rien. Pour beaucoup, cela fait de la philosophie une parole inutile et c’est son malheur, alors que cette inutilité constitue son sens même. Autrement dit, loin d’être une pensée poreuse, ouverte à toute opinion, influençable, c’est une pensée qui permet d’entrer en résistance contre l’opinion commune pour l’analyser minutieusement, comme on le voit faire Socrate, mais ce n’est pas plus s’enfermer dans son quant-à-soi dogmatique.

Nous sommes partis de Nietzsche pour qui l’homme est nécessaire, mais aussi déclin pour qu’advienne ensuite de nouvelles valeurs. Le point de départ de la réflexion a donc été le caractère dangereux et paradoxal de l’existence humaine. Il est apparu ensuite que la dangerosité était le caractère de la fonction de la philosophie et non pas l’utilité au sens technique du terme. Le courage et non pas la recherche des éloges et des marques de reconnaissance. Car ce qui est en jeu c’est le vrai.

 

“Il faut danser la vie” Nietzsche

"Au plus élevé trône du monde nous ne sommes encore assis que sur notre cul" Montaigne