Ethique pour les nuls

La Justice : dialogue entre James Bond et Shakespeare

Le dernier James Bond pointe du doigt un déséquilibre du sens, un désenchantement prépondérant dans les sociétés occidentales. Explications.


  Auteur: Raphael B     Date: 16/02/2009

 

Violence et justice, deux mots que l’on voudrait antonymes et qui ne le sont pas. La justice ne garantit pas le bien et le rationnel, elle garantit l’ordre. Montaigne le disait déjà dans le livre III des Essais : « Les lois se maintiennent en crédit, non pas parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont lois ». Le droit est la fossilisation culturelle d’un rapport de force, fruit du hasard, expression d’un intérêt particulier. Une situation de fait se transformant en situation de droit. Daniel Craig dans le dernier James Bond, Quantum of Solace, taille discrètement dans le bien pensant des valeurs occidentales comme dans un bon beefsteak, ouvrant ainsi une brèche qui rappelle cette tradition philosophique sceptique allant de Montaigne à Nietzsche, en passant par Shakespeare.
James Bond, dans le fond, fut toujours le reflet rassurant de nos valeurs, les « bonnes », celles censées être universalisables. Le monde de James Bond, c’était l’havre de paix démocratique-libéral et sa notice. Une vie réussie ? Ce serait le fait d’un individu autonome, non pas d’une collectivité, qui a compris ce qu’il veut et comment l’obtenir. En outre, il y a la vanité, le plaisir et leurs applications matérielles (les filles, les bagnoles, l’admiration des foules, les muscles, le fric, le style…). Et ce qu’il ne veut pas. En outre, que les méchants menacent cet ordre, bafouent « La Justice ». Égoïstes, arrogants, vaniteux ? Pas plus que James quand on y pense, sauf qu’ils se trouvent contre la loi. Si James est violent, c’est toujours par ce qu’il a la loi avec lui (« vous avez le permis de tuer »). Du coup, les 21 premiers épisodes de la saga offraient le spectacle ultra répétitif d’un monde où l’on a la loi et la vérité avec nous.
Or, Quantum of Solace est arrivé. Daniel Craig tue de sang froid, laisse son ami mort dans une poubelle, agit par goût du sang et de la vengeance, méprise la loi et désobéit à ses dirigeants. Il en oublie même de se faire la James Bond girl. Le méchant, lui, ne fait pas méchant, il est protégé par la CIA et utilise le droit international pour devenir le nouveau tyran du monde. Lui, il n’oublie cependant pas de se faire la James Bond girl. La justice est travestie au nom de la vengeance. La violence règne. Celui qui gagne -c est à dire celui qui aura la justice avec lui- c’est celui qui tapera le plus fort. A la fin l’ordre revient, Daniel Craig a tué tout le monde, mais il n’est pas satisfait. Il respire un parfum d’absurdité dans tout ça.
Non content d’être le reflet juste d’un nouvel ordre du monde où le modèle occidental et sa justice « universelle » sont malmenés, contraints de jouer le jeu du multilatéralisme culturelle et politique et d’abandonner le monopole de "la vérité", Quantum of Solace revient à l’essence politique du théâtre shakespearien. Ce dernier montre la nécessité de la violence pour que s’établisse un nouvel ordre. Aucune axiologie, aucune simplification manichéenne en présence, c’est ce qui en fait la modernité. Le bien est l’ordre. La force est cet instrument ambivalent car appartenant à la fois à l’ordre et au chaos. A la violence de Claudius répond celle d’Hamlet (qui tue, lui aussi, d’une manière symbolique, son propre frère). C’est une contagion. A la fin, ce n’est pas la justice qui est établie, c’est la violence qui est rejetée. Et il y a toujours un bouc émissaire, un sacrifice pour que l’ordre soit restauré. La justice est le mécanisme qui empêche le resurgissement de la violence humaine. Or le théâtre de Shakespeare est immortel car il montre l’universalité de la culture et du rite d’expulsion. C’est le rejet violent d’une violence où le héros est toujours à la fois bourreau et victime. La violence n’est ni bonne ni mauvaise, elle est. Daniel Craig ne gagne rien à la fin, il a expulsé par la violence la violence qui était en lui et restaure ainsi l’ordre intérieur comme celui extérieur.

 

“Il faut danser la vie” Nietzsche

"Au plus élevé trône du monde nous ne sommes encore assis que sur notre cul" Montaigne