Musique en sourdine

Hatful of Hollow (1984), The Smiths

Les années 80, c’est avant tout une certaine idée du romantisme. The Smiths nous en rappelle toute la quintessence.


  Auteur: Raphael B     Date: 2/02/2009

 

Le kitsch colle à la peau du terreau musical que sont les années 80, notamment l’Angleterre de la période Thatcher. Pourtant, on trouvait là un univers singulier aussi luxuriant que profond. Sous le maquillage de Robert Smith, la chevelure folle de Morrissey, le synthé niais et clinquant de New Order ou encore le maniérisme raffiné de Felt, se cachait un malaise incurable. Fin des Trente Glorieuses, désillusion des idéaux post-beatniks, nausée face à un monde brutal, consumériste et désenchanté, tous ces groupes cherchaient alors à panser leurs blessures dans les eaux vivifiantes d’une certaine conception de la légèreté, d’une superficialité qui n’entravait en rien le tranchant de leur ironie et dissimulait des abymes de noirceur.
The Smiths, pionnier de la britpop, chouchou des critiques rock, célébrait dès 1982 un mal de vivre typiquement romantique, aussi bien musical qu’humain. Alors pourquoi choisir « Hatful of Hollow » plutôt que « Meat is Murder » (1985) ou bien sûr « The Queen is dead » (1986), considéré comme LE chef d’œuvre des années 80 ? Parce que cette fraîcheur mélancolique, lovée au creux de l’écart entre désillusion et impossibilité de renoncer à certains idéaux, y était peut-être la moins travaillée, la plus sincère, la plus représentative de la jeunesse de l’époque. Compilation des premières réussites du groupe, « Hatful of Hollow » semblait un havre de tristesse et de subtilité comme on n’en trouverait plus par la suite. Tour à tour ironique (« William, It was really nothing »), entraînant (« This Charming man », « What difference does it make ? »), envoûtant (« How Soon is Now ? »), insolant et méprisant (« Still Ill »), mélancolique (« Please, Please... » et « Reel around the Foutain »), l’album déployait une variété de registres d’autant plus remarquable qu’en apparence, c’était une certaine linéarité monotone qui primait. La voix de Morrissey, fragile et romantique à souhait, se voyait parfaitement complétée par le jeu de guitare de Johnny Marr, invisible et omniprésent, mélodique et entêtant, et par la basse d’Andy Rourke, à la fois groovy et languissante.
Écouter The Smiths, surtout à notre époque, demande beaucoup d’attention et de sensibilité, la simplicité de surface n’étant qu’un piège. Une œuvre intemporelle qui selon l’’adage montaignien, cherchait à « couler un peu légèrement et superficiellement ce monde ». Cette tristesse irradiante exprime la nécessité de réécouter cette œuvre, car elle continue de nous offrir ce qui manque justement au monde contemporain : le goût des nuances et un peu de chaleur.


http://www.deezer.com/#music/album/...

 

“Il faut danser la vie” Nietzsche

"Au plus élevé trône du monde nous ne sommes encore assis que sur notre cul" Montaigne