Musique en sourdine

Green Mind (1991), Dinosaur Jr

Entre le grunge et le noisy, un rock sensible, rageur et profondément mélancolique.


  Auteur: Raphael B     Date: 2/02/2009

 

« Green Mind », c’était d’abord une magnifique pochette qu’on aurait eu tort de ne pas prendre un compte. Une gamine la clope au bec, le regard étonnamment sérieux, y redressait son pantalon, distillant la sensation d’une terrible et silencieuse désillusion à propos de l’enfance. Le titre nous annonçait pourtant un album placé sous le signe de la naïveté, de l’immaturité… Ce paradoxe s’avérait peut-être une clé pour rentrer dans un album d’autant plus difficile qu’il paraissait plus facile d’accès au regard des autres opus du groupe.
Fondé à l’origine par Lou Barlow et Jay Mascis au milieu des années 80, au fin fond d’un garage, Dinosaur Jr a ouvert la voie à une certaine façon de penser la musique et de la ressentir, typiquement grunge : à coups de guitares lourdes et saturées, une volonté de fouiller les tréfonds salvateurs de la musique, d’y gueuler sa rage face à une société pourrie jusqu’à l’os, d’y purger son angoisse, pris dans l’étau d’une vie en manque d’imagination et de sincérité. Lou Barlow parti fonder Sebadoh, Jay Mascis, le virtuose multi-instrumentiste inventeur de la guitare à soude caustique, restait aux commandes pour concocter un album que peu apprécieront à sa juste mesure. Y délaissant quelque peu les solos électriques déchirants, les gros sons crasseux, les audaces mélodiques et rythmiques, Jay Mascis semblait s’assagir avec son envie d’accompagner sa voix larmoyante par une discrete guitare acoustique. Un album plus lisse, moins décalé, plus homogène, mais trop diront certains. Un bon album, avec de très bonnes compos (les magnifiques « Green Mind » et « Thumb » où l’on trouve un solo d’anthologie, l’acoustique et rêveur « Flying Cloud », le funk de « Muck »). Cependant pas révolutionnaire pour les fans du groupe, surtout en comparaison de « Where You Been » (qui, il faut bien l’avouer, reste le chef d’œuvre de Dinosaur JR).
Or ce pourrait bien être à l’aulne de cette limite, dans ce désir de ne pas briller, que se mesurerait toute la valeur de « Green Mind ». Au fil des écoutes, quelque chose se passait, se creusait. L’homogénéité de l’album endormait quelque peu notre attention pour mieux répandre, sous l’énergie primaire, le parfum d’une désespérante monotonie. L’album entier prenait la forme d’un bloc, une longue plainte remplie d’angoisse plus que de colère.
Dans cet espace entre rage basique et tristesse lénifiante, on trouverait alors une douceur insoupçonnée. L’image noir et blanc de la gamine réapparaîtrait dans ce mélange si particulier de dureté et de délicatesse. Cette douceur, celle qui surgit de la violence, est la plus sensible qui soit, c’est celle qu’offre le monde muet et immuable à celui qui, abandonnant pour un temps son mal, décide de l’écouter et de la découvrir, à nouveau. C’est peut-être ça, le "green mind".


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"Au plus élevé trône du monde nous ne sommes encore assis que sur notre cul" Montaigne